Anba
épopée de rien du tout
Texte de fiction, travail en cours 2016-?
Ce texte a surgi d’abord sur le bord d’un carnet. Quelques mots qui ont vite amené à une suite. Un homme erre dans la grosse ville et s’incarne à travers ses différentes rencontres.
Extrait du texte :
“ Je pense c’est pas compliqué. Je pense que c’est pas compliqué de voir ou ça nous mène tout ça.
Une épopée de rien du tout, ça ne mène souvent pas bien loin. Peut-être même juste au-devant des pieds. Juste au-devant du gros orteil ça mène. Autrement dit pas bien loin. Mais peut-être que dans une épopée juste au-devant du gros orteil on peut trouver quelque chose proche d’une vérité. Peut-être, une vérité toute proche.
Debout cet homme, dans un lieu quelconque, parce qu’ici le lieu n’a pas vraiment d’importance, disons ces toilettes d’un café à la mode, un peu trop propre, ou bien ce couloir un peu trop long et étroit dans un appartement pas très cher; ces toilettes publiques, aux portes mécaniques ; le pont à voiture, qui survole un océan de ces carcasses motorisées ; rues interminables, cernées de bâtiments de pierre.
Cet homme :
Je savais que je n’étais plus là, que j’avais abandonné tout l’ici et maintenant. Je sais que seul mon corps demeure, errant à marcher de A vers B. Je porte le visage du sérieux pas commode. L’habit du n’importe qui. La voix d’un jenesaisplusqui. Seuls mes pieds détiennent une vie, ils m’emmènent et déambulent çà et là. Portant le reste déjà mort. L’au-dessus-des-pieds déjà mort. Je les laisse faire car ils me divertissent, je leur porte une tendresse amicale. En-bas de moi, mes pieds.
Il s’appelle Anba, cet homme qui vit des milliers de choses mais ne le sais pas ou ne s’en est pas encore rendu compte.
Ses pieds mettent désormais en branle tout l’au-dessus. Pour le projeter dans ces rues n’importe où. Quelque part sûrement proche d’ici. Le rythme se met en marche, incessant rebond de droite à gauche. Cela fait au moins mille ans qu’Anba suit ses pieds dans les rues de la grosse ville. Il file dans le vent, agile se glisse entre les passants, évite les collisions, évite que quelque chose se passe, puisse se passer. Et là il rayonne, rayonne d’être un banal parmi les banals, professionnels de l’évitement de rue, du corps qui se faufile et que l’on ne voit pas. Ses yeux, vides à tous les abords, inspectent les trajectoires pour informer ses pieds des trajets efficaces, appropriés à la prise de vitesse. Une vitesse pour planer au-dessus du bitume, frôler des histoires qui ne lui appartiennent pas, frôler quelques choses qui se passent dans les rues. Anba n’a jamais su le nom de la ville dans laquelle il se trouvait et ne saura peut-être pas, ça n’a pas d’importance. Tout l’important est de se trouver un devant pour que ses pieds avancent, tout l’important est de ne jamais se trouver face à un mur quelconque pour filer droit.
En marche.
Enfin en marche.
Là plus aucun temps, comme toutes les autres marches, des corps frôlés comme tous les autres corps.
La vitesse est constante. La respiration se cale pour toujours sur les pas. Quelque chose nous dit que ce corps lancé ne s’arrêtera plus.
Il ne s’arrêtera pas.
Il n’est d’ailleurs pas là pour ça, s’arrêter.
Il file.
Au milieu d’une nuit, un homme comme d’autres :
Lui : Hey … gars … arrête toi … toi … une clope … connard ouai …
Anba : …
Lui : Quoi ? une clope …
Anba : Non
Lui : Ouai c’est ça. une clope. pas de clope. connard. ta sale gueule. tu vois moi j’aime casser des gueules comme ta sale gueule. Une gueule que quand tu la vois tu veux tout la péter. Tout péter. Une gueule qui dit pas grand-chose et le dit même pas bien le pas grand chose. Moi si je m’écoutais je te peterais comme ça ici comme ça ta gueule de pas grand-chose à rien dire comme ça. Une clope ? Ouai pas de clope je sais tu donnes pas tu veux pas donner ça te ferais chier ça. J’ai même pas envie de peter ta gueule ça sert même à rien ça de peter ta gueule parce que yen a pour la frime ils diraient ça salit les mains mais moi je crois c’est foutu ta sale gueule je la pete j’aurai meme pas de clope et toi tu t’en fou. Et puis peter des gueules c’est pas mon truc. Moi jaime ... j’aime fumer des clopes moi c’est tout, pas causer de probleme. Ça c’est comme ça que moi je suis, pas si farouche comme ça faut me connaitre mais des gueules jaimerai en peter. Au moins une, au moins la tienne juste pour l’aubaine juste pour ta gueule de comme ça là. Ta gueule de je-dis-rien quand moi je te cris dessus comme ça au milieu là.
Un bruit sourd, des os qui s’entrechoquent. Une petite musique de squelettes. A une seule note, une note pas très recherchée.
Anba (seul) : Le corps est réveillé. Il vibre même, une vibration de partout. Pas de tremblement mais une vibration là au-dedans. Mes poings en sang, rempli de douleurs jusque dans les os. Mes pieds eux ne s’arrêtent pas, ils portent au loin ce corps vibration. Dans ma tête un grand flou, tout est tant clair pourtant avant, mais là un brouillon. Il y a une crasse, une crasse là dans ma tête. Comme la sensation d’avoir fait mal, d’avoir lâché tout ça et d’avoir frappé au-dedans de l’autre. Je sais pas, tout vibre et je ne sais plus. Plus vraiment ce qu’il s’est passé entre avant ça et maintenant. Il faut calmer tout ça, faire cesser la grande vibration pour du calme. Là maintenant un peu de calme, plus rien que seulement pas grand-chose. Rien. Mais ça ne veut pas les pieds filent encore plus vite, les mains sont deux gros sacs de douleurs. Une douleur d’avoir frappé dans un mur, le mur du métro pour sûr, c’est ça surement ça et pas un autre corps sur lequel j’ai frappé. Aucun moyen de savoir, juste de la douleur et du sang.
Ses pieds s’arrêtent nets. Et avec eux, un silence. Le rythme de la respiration seul demeure, à bout. Il fait résonner celui des pieds qu’ils suivaient. Allez savoir si la respiration suivait le rythme des pieds ou bien le contraire. Mais là un grand vide. Le calme n’est pourtant pas là. Il y a comme un truc. Un souffle chaud sur le cou d’Anba. Il y avait quelqu’un là, le corps comme presque collé contre le sien, séparé d’un bon centimètre.
Elle : Salut. Tu t’arrêtes ? Je t’arrête ? Tu sens bon. Je sais pas toute les fois où on s’arrête pour moi ça sent la foire, le truc qui foire, part en couille sans dire merci bonjour pardon au revoir. Mais là tes mains pleines de sang, tu t’arrêtes et m’amènes tes mains pleines de sang. Pour toi je peux les laver, juste pour toi là parce que je sens pas le truc qui foire. Monte chez moi, je lave tes mains, les soignent, les touchent. Peut-être toi les mains propres tu me touche aussi. Et là si ça foire toujours pas, là au moins il y aura de la tendresse. Le genre de truc pour quoi tu t’arrête. J’aime ta face, ça pose pas de question, moi j’aime pas les questions.
Elle l’entraîne, l’emmène dans sa chambre. Tous les gestes sont lents. Le coeur d’Anba ne tambourine plus sur sa poitrine. Elle lave ses mains rouges. Le dévêtit et lave la crasse de son corps. Un murmure siffle à l’oreille d’Anba :
Il était un garçon qui revenait du ruisseau.
Couvert de boue,
Ecorché aux genoux
Il rencontra sa mère, qui s’occupait du troupeau
Il était bien embêté
Ne savait où se cacher
Elle l’accueilli de son grand sourire
Enleva son haut,
Inspectant les bobos
Auquel à chacun elle réservait un soupir
Elle le plongea dans la bassine
Où une vache trempait encore ses babines
Et le frotta avec cette eau pure :
« Nos corps sont cher à nos yeux,
je chanterai ce chant précieux,
Pour en chasser les égratignures
Laisse tes habits déchirés
Il est l’heure de rentrer“
Merci aux villes et à leurs rues où il fait parfois bon se perdre.
Ce texte a surgi d’abord sur le bord d’un carnet. Quelques mots qui ont vite amené à une suite. Un homme erre dans la grosse ville et s’incarne à travers ses différentes rencontres.
Extrait du texte :
“ Je pense c’est pas compliqué. Je pense que c’est pas compliqué de voir ou ça nous mène tout ça.
Une épopée de rien du tout, ça ne mène souvent pas bien loin. Peut-être même juste au-devant des pieds. Juste au-devant du gros orteil ça mène. Autrement dit pas bien loin. Mais peut-être que dans une épopée juste au-devant du gros orteil on peut trouver quelque chose proche d’une vérité. Peut-être, une vérité toute proche.
Debout cet homme, dans un lieu quelconque, parce qu’ici le lieu n’a pas vraiment d’importance, disons ces toilettes d’un café à la mode, un peu trop propre, ou bien ce couloir un peu trop long et étroit dans un appartement pas très cher; ces toilettes publiques, aux portes mécaniques ; le pont à voiture, qui survole un océan de ces carcasses motorisées ; rues interminables, cernées de bâtiments de pierre.
Cet homme :
Je savais que je n’étais plus là, que j’avais abandonné tout l’ici et maintenant. Je sais que seul mon corps demeure, errant à marcher de A vers B. Je porte le visage du sérieux pas commode. L’habit du n’importe qui. La voix d’un jenesaisplusqui. Seuls mes pieds détiennent une vie, ils m’emmènent et déambulent çà et là. Portant le reste déjà mort. L’au-dessus-des-pieds déjà mort. Je les laisse faire car ils me divertissent, je leur porte une tendresse amicale. En-bas de moi, mes pieds.
Il s’appelle Anba, cet homme qui vit des milliers de choses mais ne le sais pas ou ne s’en est pas encore rendu compte.
Ses pieds mettent désormais en branle tout l’au-dessus. Pour le projeter dans ces rues n’importe où. Quelque part sûrement proche d’ici. Le rythme se met en marche, incessant rebond de droite à gauche. Cela fait au moins mille ans qu’Anba suit ses pieds dans les rues de la grosse ville. Il file dans le vent, agile se glisse entre les passants, évite les collisions, évite que quelque chose se passe, puisse se passer. Et là il rayonne, rayonne d’être un banal parmi les banals, professionnels de l’évitement de rue, du corps qui se faufile et que l’on ne voit pas. Ses yeux, vides à tous les abords, inspectent les trajectoires pour informer ses pieds des trajets efficaces, appropriés à la prise de vitesse. Une vitesse pour planer au-dessus du bitume, frôler des histoires qui ne lui appartiennent pas, frôler quelques choses qui se passent dans les rues. Anba n’a jamais su le nom de la ville dans laquelle il se trouvait et ne saura peut-être pas, ça n’a pas d’importance. Tout l’important est de se trouver un devant pour que ses pieds avancent, tout l’important est de ne jamais se trouver face à un mur quelconque pour filer droit.
En marche.
Enfin en marche.
Là plus aucun temps, comme toutes les autres marches, des corps frôlés comme tous les autres corps.
La vitesse est constante. La respiration se cale pour toujours sur les pas. Quelque chose nous dit que ce corps lancé ne s’arrêtera plus.
Il ne s’arrêtera pas.
Il n’est d’ailleurs pas là pour ça, s’arrêter.
Il file.
Au milieu d’une nuit, un homme comme d’autres :
Lui : Hey … gars … arrête toi … toi … une clope … connard ouai …
Anba : …
Lui : Quoi ? une clope …
Anba : Non
Lui : Ouai c’est ça. une clope. pas de clope. connard. ta sale gueule. tu vois moi j’aime casser des gueules comme ta sale gueule. Une gueule que quand tu la vois tu veux tout la péter. Tout péter. Une gueule qui dit pas grand-chose et le dit même pas bien le pas grand chose. Moi si je m’écoutais je te peterais comme ça ici comme ça ta gueule de pas grand-chose à rien dire comme ça. Une clope ? Ouai pas de clope je sais tu donnes pas tu veux pas donner ça te ferais chier ça. J’ai même pas envie de peter ta gueule ça sert même à rien ça de peter ta gueule parce que yen a pour la frime ils diraient ça salit les mains mais moi je crois c’est foutu ta sale gueule je la pete j’aurai meme pas de clope et toi tu t’en fou. Et puis peter des gueules c’est pas mon truc. Moi jaime ... j’aime fumer des clopes moi c’est tout, pas causer de probleme. Ça c’est comme ça que moi je suis, pas si farouche comme ça faut me connaitre mais des gueules jaimerai en peter. Au moins une, au moins la tienne juste pour l’aubaine juste pour ta gueule de comme ça là. Ta gueule de je-dis-rien quand moi je te cris dessus comme ça au milieu là.
Un bruit sourd, des os qui s’entrechoquent. Une petite musique de squelettes. A une seule note, une note pas très recherchée.
Anba (seul) : Le corps est réveillé. Il vibre même, une vibration de partout. Pas de tremblement mais une vibration là au-dedans. Mes poings en sang, rempli de douleurs jusque dans les os. Mes pieds eux ne s’arrêtent pas, ils portent au loin ce corps vibration. Dans ma tête un grand flou, tout est tant clair pourtant avant, mais là un brouillon. Il y a une crasse, une crasse là dans ma tête. Comme la sensation d’avoir fait mal, d’avoir lâché tout ça et d’avoir frappé au-dedans de l’autre. Je sais pas, tout vibre et je ne sais plus. Plus vraiment ce qu’il s’est passé entre avant ça et maintenant. Il faut calmer tout ça, faire cesser la grande vibration pour du calme. Là maintenant un peu de calme, plus rien que seulement pas grand-chose. Rien. Mais ça ne veut pas les pieds filent encore plus vite, les mains sont deux gros sacs de douleurs. Une douleur d’avoir frappé dans un mur, le mur du métro pour sûr, c’est ça surement ça et pas un autre corps sur lequel j’ai frappé. Aucun moyen de savoir, juste de la douleur et du sang.
Ses pieds s’arrêtent nets. Et avec eux, un silence. Le rythme de la respiration seul demeure, à bout. Il fait résonner celui des pieds qu’ils suivaient. Allez savoir si la respiration suivait le rythme des pieds ou bien le contraire. Mais là un grand vide. Le calme n’est pourtant pas là. Il y a comme un truc. Un souffle chaud sur le cou d’Anba. Il y avait quelqu’un là, le corps comme presque collé contre le sien, séparé d’un bon centimètre.
Elle : Salut. Tu t’arrêtes ? Je t’arrête ? Tu sens bon. Je sais pas toute les fois où on s’arrête pour moi ça sent la foire, le truc qui foire, part en couille sans dire merci bonjour pardon au revoir. Mais là tes mains pleines de sang, tu t’arrêtes et m’amènes tes mains pleines de sang. Pour toi je peux les laver, juste pour toi là parce que je sens pas le truc qui foire. Monte chez moi, je lave tes mains, les soignent, les touchent. Peut-être toi les mains propres tu me touche aussi. Et là si ça foire toujours pas, là au moins il y aura de la tendresse. Le genre de truc pour quoi tu t’arrête. J’aime ta face, ça pose pas de question, moi j’aime pas les questions.
Elle l’entraîne, l’emmène dans sa chambre. Tous les gestes sont lents. Le coeur d’Anba ne tambourine plus sur sa poitrine. Elle lave ses mains rouges. Le dévêtit et lave la crasse de son corps. Un murmure siffle à l’oreille d’Anba :
Il était un garçon qui revenait du ruisseau.
Couvert de boue,
Ecorché aux genoux
Il rencontra sa mère, qui s’occupait du troupeau
Il était bien embêté
Ne savait où se cacher
Elle l’accueilli de son grand sourire
Enleva son haut,
Inspectant les bobos
Auquel à chacun elle réservait un soupir
Elle le plongea dans la bassine
Où une vache trempait encore ses babines
Et le frotta avec cette eau pure :
« Nos corps sont cher à nos yeux,
je chanterai ce chant précieux,
Pour en chasser les égratignures
Laisse tes habits déchirés
Il est l’heure de rentrer“
Merci aux villes et à leurs rues où il fait parfois bon se perdre.